On ne contrôle pas toujours ce qui arrive dans nos vies. Les circonstances, les urgences et les imprévus sont autant d’occasion de se mettre en mode « réaction » et de perdre de vue ce qui nous importe vraiment. Le défi consiste alors à repasser en mode « réponse », à maintenir son équilibre et son écologie émotionnelle tout en gardant le cap sur ce qui compte vraiment pour nous.
Si l’on part du principe que notre mission de vie est le pôle magnétique qui oriente la flèche de notre boussole intérieure, nous avons quand même intérêt à trouver des repères au jour le jour pour nous aligner, au rythme des changements.
Pour ce faire, il serait judicieux de commencer par vous demander ce qu’est pour vous la définition d’une priorité. Vous pouvez toujours regarder dans le dictionnaire, mais pourquoi ne pas fabriquer votre propre définition? C’est votre perception à vous qui importe. Alors, comment savez-vous qu’une priorité en est une ? Est-elle déterminée par vous, par les autres ou par les circonstances ? Réagissez-vous de manière spontanée aux événements au fur et à mesure qu’ils se pré- sentent, une priorité chassant l’autre, ou bien êtes-vous de ces personnes qui planifient et gèrent les choses les unes après les autres avec sang-froid ? Toutes les réponses sont bonnes. Elles entrent simplement dans votre définition en fonction de votre type de personnalité et de vos valeurs, tout en vous donnant des pistes d’autodétermination.
Plusieurs fois dans nos vies, nous traversons des périodes qui ont le don de nous faire perdre nos repères et, de fait, notre sens des priorités. Dans ces circonstances, le recul, le crayon et le papier deviennent parfois nos meilleurs alliés : notes, schémas, tableaux et mind-mapping nous permettent de nous arrêter et de considérer avec une relative objectivité l’importance et l’urgence des différentes facettes de la situation que nous traversons. Remettre nos priorités en ordre devient alors pour nous une excellente manière de nous orienter dans l’action, de reprendre la main et le contrôle des événements.
Dwight D. Eisenhower, le 34e président des États-Unis, aurait déclaré un jour que « ce qui est important est rarement urgent, et ce qui est urgent est rarement important ». Cette réflexion est à l’origine d’un outil que j’utilise souvent pour classer mes priorités et que l’on nomme « la matrice d’Eisenhower ». Vous la connaissez peut-être si vous avez suivi des cours d’in- troduction à la gestion ou lu des ouvrages sur le sujet. En voici une représentation simple.
Si la matrice d’Eisenhower nous permet de défricher le terrain en effectuant un premier tri parmi tout ce qu’il y a à faire, il n’en reste pas moins que nous risquons de nous retrouver avec quatre listes au lieu d’une seule… Et certaines de ces listes risquent d’être longues ! Bien sûr, nous pouvons d’emblée en éliminer une, celle des choses non importantes et non urgentes. Pour les autres se pose la question de les classer en ordre… de priorité ! Pour cela, je vous suggère deux méthodes différentes. La première consiste à prioriser ce qui est critique, la seconde vous permettra d’ordonner les priorités en fonction de vos valeurs.
TROUVER VOS VRAIES PRIORITÉS
Pour commencer, dressez tout simplement la liste des choses que vous avez à faire, spontanément et sans réfléchir. N’essayez pas de les classer en ordre de priorité pour l’instant. Écrivez tout ce qui vous passe par la tête, les petites choses comme les projets d’envergure. En quelques minutes, vous obtiendrez probablement une liste qui occupera une page, voire deux…
Maintenant, classez chacun des éléments de cette liste en utilisant la matrice d’Eisenhower. Vous obtenez ainsi quatre listes. Les tâches figurant dans la case «FAIRE» constituent vos vraies priorités. Ce sont elles qu’il convient d’organiser maintenant. Pour ce faire, je vous suggère deux méthodes : soit vous les classez selon ce qui est « critique », soit vous les classez selon vos « critères » (c’est-à-dire selon vos valeurs).
Voyons ensemble comment fonctionnent les deux méthodes ; vous pourrez ensuite choisir celle qui vous conviendra le mieux.
TROUVER LES PRIORITÉS LES PLUS « CRITIQUES »
Cet outil est souvent comparé à la matrice d’Eisenhower. J’ai adapté ici la matrice de criticité que l’on utilise dans le contexte de l’entreprise pour la combiner avec la matrice d’Eisenhower, car leur complémentarité permet un réel classement qui mènera ensuite à l’action efficace. Dans un contexte transitionnel, en phase de perte de repères, le résultat de cet exercice vous fournira la marche à suivre qui vous permettra d’aller de l’avant pour sortir du brouillard de l’inaction. Je vous suggère donc d’effectuer cet exercice avec la liste des choses figurant dans la section « FAIRE » de votre matrice d’Eisenhower. Pour cela, reproduisez la grille suivante sur une feuille de papier.
Ensuite, pour chacun des éléments figurant dans la section « FAIRE » de votre matrice d’Eisenhower, choisissez la case qui convient le mieux. Par exemple, une tâche occasionnelle, mais dont la non-réalisation aurait des conséquences catastrophiques se retrouvera sur la troisième ligne dans la colonne de droite. Répétez l’opération pour chacun des éléments de votre liste. Ensuite, comparez vos résultats avec tableau repris ci-dessous. Vous voyez immédiatement que cet exercice vous permet de préciser les priorités, et que la liste des choses à faire se concentre sur les choses vraiment essentielles, qui constituent vos vraies priorités.
CLASSEMENT DES PRIORITÉS SELON VOS VALEURS
Lorsqu’il est question de gestion des priorités, ce ne sont pas les options qui manquent. Une autre façon de trier vos priorités est de les considérer en regard de vos valeurs les plus profondes. Revenez simplement aux trois valeurs les plus importantes pour vous en ce moment. Ensuite, pour chacune des tâches à effectuer dans votre liste, attribuez une note de conformité avec chacune des trois valeurs énoncées (choisissez une note entre 1 et 10 pour chacune des valeurs selon la façon dont la tâche en question vous permet de vous rapprocher de la valeur considérée). Il vous suffit ensuite de calculer le total pour obtenir une hiérarchie de priorités. Le tableau ci-dessous illustre un exemple de ce à quoi peut ressembler votre récapitulatif. Vous pouvez effectuer un tableau pour chacun des groupes de tâches ou de projets de la matrice d’Eisenhower, sauf bien sûr pour ce que vous avez déjà éliminé !
Le todo-isme
Lorsqu’on pense à faire une liste de tâches, on se rappelle naturellement en avoir déjà rédigé une, avec plus ou moins d’entrain… On se souvient peut-être de celles qui nous restent à faire et de celles qui sont tombées dans l’oubli. J’en profite donc pour vous parler de ces to-do list qui traînent ici et là au bureau, à la maison, sur votre téléphone intelligent, etc.
Le todo-isme, qui vient de l’expression anglaise « to do » (à faire) illustre cette liste de choses à faire qui sont en quelque sorte des devoirs que l’on se donne à soi-même. Ce sont des buts que l’on se fixe par écrit, et qui occupent nos agendas (papiers et électroniques), la porte de notre réfrigérateur, nos post-it et, il faut bien l’admettre, trop souvent, notre esprit. Quotidien, travail, famille, courses : voilà autant de listes de tâches dont on a l’impression de ne jamais voir la fin puisqu’il s’en ajoute continuellement au fur et à mesure qu’on coche celles qui sont en haut de la page. Dans ce contexte, la liste des priorités devient très vite un mémo sans queue ni tête.
En période de tension, de stress et d’instabilité face aux changements, on veut faire davantage confiance à notre liste qu’à notre mémoire. C’est donc un bon moyen de dégager notre cerveau et de libérer notre esprit tout en y mettant de l’ordre. Cependant, même si cette stratégie de désencombrement mental s’avère un excellent moyen de déjouer la procrastination et l’inconstance, il peut aussi être un merveilleux outil de découragement lorsque la liste s’allonge de manière anarchique. La tentation peut alors naître de simplement « oublier » de mettre des choses sur notre liste et de se réfugier ainsi derrière un alibi tout trouvé : « Bon sang ! Je n’ai pas pu le faire, j’avais oublié de le mettre sur ma liste! »
La liste portera ainsi tout le poids de la responsabilité de notre errance.
Dans La Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud a démontré que lorsque nous oublions, c’est que nous n’avons pas envie de nous en souvenir. Des listes bien utilisées régleraient-elles la question ? Avouez que nous éprouvons tous une certaine jouissance à rayer d’un trait sec une tâche accomplie. Le revers de la médaille, évidemment, c’est la culpabilité que l’on peut ressentir lors du non-respect de la tâche. D’où l’importance de maintenir notre to-do list comme une réelle liste de priorités, et pas seulement comme une liste de « choses à faire » (quand on en aura envie ou qu’on aura le temps). C’est une question d’engagement : chaque nouvelle tâche devrait passer au crible de la matrice d’Eisenhower, de la matrice de criticité ou être évaluée en fonction de vos critères avant de trouver sa juste place dans la liste. Vous verrez que, très souvent, celle-ci n’est pas en queue de peloton.
De l’inaccomplissement à l’auto-listing
À défaut de faire preuve de discipline et de réévaluer notre liste chaque jour en effectuant un nouveau classement des priorités, le todo-isme en tant que tel ne fonctionne généralement pas. Selon Bruno Koeltz, médecin et psycho- thérapeute, il y aurait trois types de mécanismes qui conduiraient à cet inaccomplissement de la liste des choses à faire :
- l’intolérance à la frustration : Le fait de constamment voir une liste de choses à faire crée la frustration de constater tout ce qui n’a pas été fait. Certains préféreront donc pratiquer la « politique de l’autruche » et ignorer la liste plutôt que de réactiver à chaque fois la frustration du constat des choses non réalisées;
- l’anxiété de performance : La vision de la liste des choses à faire peut créer du stress face aux ressources à mettre en œuvre pour arriver à boucler les nombreuses tâches qui y sont répertoriées;
- la réaction passive-agressive : Lorsque nous nous sentons contraints de faire quelque chose, nous nous braquons.
Alors, pourquoi passer du todo-isme à l’auto-listing? Quelle différence, me direz-vous ? La différence réside justement dans la gestion des priorités. Comme l’auto-listing s’appuie sur les priorités, cette méthode a pour principe de déterminer la pertinence des tâches pouvant se retrouver sur une to-do list.
La matrice d’Eisenhower, la matrice de criticité et le tableau de vos valeurs sont de merveilleux outils d’auto-listing. Il en existe bien entendu d’autres. Ainsi, selon Bruno Koeltz, pour contrer l’inaccomplissement, vous pouvez également classer les éléments de votre liste en fonction des trois critères suivants :
- les impératifs;
- les « si j’ai le temps »;
- les « à l’occasion ».
Pour Bernard Sève, professeur d’esthétique et de philosophie de l’art à l’Université de Lille III, le fait de dresser des listes est un exercice qui permet au narcissisme naturel que nous portons en nous de se déployer. Ces listes sont le miroir de nos propres vertus et donc le reflet de nos qualités, de nos réussites et de nos réalisations. Ce sont nos conquêtes des temps modernes.
Contrairement à ces listes que nous effectuons lorsque nous nous tournons vers le passé pour répertorier nos amours ou nos exploits, ou à ces to-do lists qui nous tournent vers l’avenir, l’auto-listing renvoie à l’instant présent, au moment même où nous les rédigeons, donc en contact direct avec notre vécu du moment. L’auto-listing témoigne de notre mode de pensée et de l’organisation de nos priorités, qui sont à l’origine du découpage des tâches que nous avons à faire pour réaliser, en définitive, notre mission de vie, un jour à la fois.
L’ART DE LA PRIORISATION
Force est d’admettre que dans notre monde moderne, nous sommes de moins en moins habitués à nous laisser porter par le moment présent. Nous sommes plus souvent en mode multitâche, ou simplement plus distraits que présents à ce qui se passe maintenant, sans attente particulière.
Gérer nos priorités nous permet de nous réaligner parfaitement à notre mission et à notre vision, au-delà des aléas des transitions et de ces brouillards saisonniers qui nous font parfois perdre le cap.
La priorisation nous permet de renouer avec le sentiment de compétence et de confiance qui a peut-être été ébranlé en période de changement. La satisfaction résultant du processus d’auto-listing a un impact immédiat sur notre mental, mais aussi sur notre bien-être physique. Elle nous permet de renouer avec notre posture d’excellence, indispensable pour un passage harmonieux à travers les processus transitionnels de la vie.
Nicolas Beffort
Retrouvez cet article et bien d’autres dans l’ouvrage « Au rythme des transitions », publié aux Éditions de l’Homme (2018).